mardi 14 août 2007

Claude Fell commente "Le livre de Carmen"

Chère Madame,

Je vous envoie comme convenu une brève notice sur votre livre que j'ai aimé, comme voulait l'indiquer mon intervention à la dernière Tribune des Livres de la Maison de l'Amérique latine.

Après un récit autobiographique, Tisseuse de mémoires de la Patagonie aux Balkans (L’Harmattan, 2003), María London, née au Chili et résidant en France depuis 1976, propose ce premier roman, Le livre de Carmen (Éditions Indigo&côté-femmes). Comme son titre l’indique, ce court récit retrace la trajectoire existentielle d’une femme, Carmen, dans un pays et à une époque qui ne sont pas spécifiquement nommés, mais qu’un lecteur moyennement informé peut assez facilement identifier comme le Chili des années qui ont immédiatement précédé et suivi la dictature du général Pinochet, malgré la phrase lancée en exergue du livre : « Toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé serait purement fortuite ». Cette non explicitation du contexte géographique et historique suggère évidemment que ce type de situation est universel et pourrait se retrouver dans d’autres pays d’Amérique latine ou d’ailleurs. La brièveté du livre ne contredit pas la relative complexité de sa construction, à partir de l’imbrication savamment calculée de trois niveaux narratifs : d’un côté, l’histoire de Carmen, de ses rapports relativement tumultueux avec les hommes et de son exil en Europe ; de l’autre, les commentaires que Carmen émet sur sa façon de raconter sa propre histoire, sur les livres qu’elle publie (« des histoires très romantiques ayant toujours une fin ridiculement heureuse »), sur l’aventure parfois scabreuse que représente l’écriture d’un roman. Un troisième plan interfère avec les deux autres sous la forme de fragments d’un poème de Pablo Neruda intitulé « La solitude ».

Construit de façon circulaire, avec une situation particulièrement dramatique qui se retrouve au début et à la fin du livre, Le livre de Carmen donne une image à la fois pathétique et mélancolique de la condition féminine ; Carmen semble s’être résignée à assumer son « incapacité à aimer les hommes ». Ce récit douloureux et apaisé contraste avec la véhémence des interventions de Carmen à propos de son témoignage mais aussi de ses propres écrits de fiction. Cette alternance de troisième et de première personne crée une tension d’autant plus forte et captivante pour le lecteur que le destin de la protagoniste s’identifie et se confond peu à peu avec celui de son pays.

Un roman à lire d’urgence.

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