mardi 13 janvier 2009

La justice des mots , par José Promis.

Traduction d'une critique publiée le 4 janvier 2009 dans Artes y Letras de El Mercurio , Santiago, Chili.


C’est une agréable surprise que nous réserve Le Livre de Carmen, roman court publié à l’origine en français et traduit en espagnol par l’auteure elle-même, Maria Isabel Mordojovich, née à Punta Arenas, fille d’immigrants russes et croates qui signe du nom de plume Maria London et réside actuellement en France. Son sujet n’est pas nouveau ; les histoires de tortionnaires et de leurs victimes ont été des thèmes utilisés fréquemment dans la narration chilienne contemporaine de même que les séquelles que les situations d’oppression, par la force des armes ou bien par celle du pouvoir des systèmes patriarcaux, provoquent dans le comportement de la femme, en lacérant son corps ou en brisant à jamais les espoirs de vie heureuse qu’elle nourrit dans son cœur. L’attrait qu’offre ce roman réside dans la perspective qui y est proposée et qui éclaire l’autre face du mal ainsi que dans les résultats intéressants que produit cette option, tant dans la forme du récit que dans le sens final qu’il projette sur le lecteur. Ce n’est pas à tort que le roman a reçu des commentaires élogieux dans la presse française.

L’argument du Livre de Carmen se développe en trois temps :

son point de départ est la fête d’anniversaire qui présente un personnage énigmatique et insidieux, Alain. Carmen est une écrivaine d’un certain renom qui est de retour pour quelques jours dans son pays d’origine et se trouve là par hasard, accompagnant son amie Gabriela. Alain profite de sa présence pour lui faire une étrange demande : écrire sur son frère Sandro, mort quelque temps auparavant dans des circonstances obscures. La demande d’Alain déconcerte d’abord Carmen, puis éveille chez elle un violent refus, nous laissant entrevoir des pistes qui suggèrent une intention malveillante cachée dans la demande de son hôte. Le récit s’oriente alors vers le passé, où nous connaitrons l’histoire de Carmen avant sa sortie du pays et le rôle de Sandro dans sa vie. Nous découvrirons que tout s’est joué autour de la trahison et de ses effets dévastateurs dans le destin d’une femme sans défense dont les rêves sont brutalement détruits. Une fois en possession des antécédents qui expliquent la réaction de Carmen et du mystère que cache Alain, le récit nous ramène au moment initial de la fête et à la réponse de Carmen à la demande maligne de son amphitryon.

Ce traitement dans une spirale du temps conduit notre regard vers les profondeurs d’un état d’âme pour y découvrir les raisons qui justifient son présent. Regard surréaliste, sans doute, qui acquiert une plus grande complexité parce qu’il donne lieu à un dialogue polémique permanent entre la voix qui relate l’histoire de Carmen, alternant le point de vue de la femme avec celui d’Alain, et la conscience d’une voix en arrière-plan (appelée malheureusement « voix off » par l’auteure) qui discute, conteste ou nuance les affirmations de la première.

Lecteurs, nous sommes ainsi confrontés à une narration intéressante qui permet de contempler, sans que l’attention se relâche un seul instant, le développement d’une histoire de douleur et de salut, et simultanément son processus d’écriture, la configuration littéraire qui nait de la tension permanente entre la main qui écrit et la conscience qui la conduit.

Sous l’apparente simplicité de langage qu’offre le roman de Maria London, s’occulte donc une notable et complexe technique narrative qui joue avec le temps et polémique et discute avec elle-même pour transformer l’écriture en instrument de justice, tel l’affirme à un moment donné la conscience de la narratrice, et constater que l’histoire de Carmen n’est pas seulement la rédemption d’une femme trompée et offensée, mais celle de son pays, non nommé, que son corps et son esprit symbolisent.
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