dimanche 7 décembre 2008

"Dario Oses" présente "El Libro de Carmen" lors de la "28 ème Feria Internacional del Libro de Santiago"

Traduction de l’espagnol de la présentation faite par Dario Oses, le 16-11-2008 du roman « Le livre de Carmen » de Maria London lors de la « Feria Internacional del Libro de Santiago ».

Je suis incapable de qualifier avec objectivité un roman de mauvais, médiocre ou bon. La seule chose que je peux dire, avec difficulté et très subjectivement, c’est qu’un livre me parait intéressant lorsqu’il me provoque, c’est à dire, quand moi, en tant que lecteur, je trouve en lui de grandes affinités ou de grands désaccords. Et dans ce livre, j’ai trouvé les deux.

Commençons par les affinités. J’ai toujours été de l’avis qu’il est nécessaire de dénoncer une des grandes duperies qu’on nous vend dans les chansons populaires, les séries télévisées, les publicités, les contes et autres récits médiatisés : celle de l’amour, c'est-à-dire celle de la coïncidence de deux personnes qui lors de leur rencontre trouvent la joie totale, l’allégresse définitive.

L’auteur dit : « Lorsqu’on a vingt ans, toutes les histoires d’amour s’annoncent belles, c’est presque une lapalissade. » et ensuite : « Carmen avait autrefois une capacité sans égal pour tomber amoureuse et une capacité encore plus remarquable pour refaire surface après les déceptions résultant de sa naïveté légendaire. »

Certes, il faut être extrêmement ingénu pour tomber amoureux, et d’une candeur pathologique pour recommencer après les déceptions. Et c’est d’une certaine manière ce qui arrive à Carmen, la protagoniste de ce livre. Ce n’est qu’après de nombreux désastres qu’elle parvient à se convaincre que la rencontre amoureuse d’un homme et d’une femme ne produit rien qui ressemble à un roman rose, mais que cela ressemble plutôt à des scènes proches aux récits d’horreur.

L’auteur nous présente l’amour comme un leurre et nous prévient: « les circonstances atténuantes prédisposent à l’erreur. Pire, les femmes n’ont bien souvent que trop de circonstances atténuantes », plus loin, elle parle de la compassion qu’elle-même, c'est-à-dire l’auteur, éprouve envers « les malheureuses naïves qui peuplent cette terre. Leur refuser cette illusion dérisoire serait un acte d’une cruauté tout à fait inutile. »

Il surgit dans ce roman la silhouette du séducteur. C’est un personnage universel. Il est présent dans les nombreuses versions existantes de Don Juan Ténorio, l’homme qui séduit par sport ou dans l’esprit de mettre à l’épreuve, une fois après l’autre, sa propre capacité de séduire. Et l’une des ressources que possède le séducteur est sa capacité de manipuler la naïveté de la victime. L’auteur écrit : « Il lui disait tout ce qu’elle rêvait d’entendre, tout ce que toute femme rêverait d’entendre. ». C’est un vieux stratagème, tripoté, archi connu, qui marche toujours, car ici il y a une collusion perverse : le séducteur trompe une femme qui veut être trompée, qui collabore avec la tromperie. Il dit des mensonges et celle qui est trompée sait que ce sont des mensonges, mais elle veut les croire.

A l’instar de tous les Don Juan, celui de ce roman, qui se prénomme Sandro, une fois consommée la séduction perd l’intérêt pour sa victime et la méprise. Il commente à ses amis : « Jamais il n’avait connu une bonne femme aussi stupide, aussi naïve. » et il la congédie.

Nous parlons ici de l’amour romantique, de l’amour en tant qu’enveloppement affectif total, qui prodige et exige fidélité totale. Ce qui est surprenant est que de nombreuses femmes, mais aussi de nombreux hommes, continuent à croire en quelque chose d’aussi anachronique, usée et mitée.

Ce genre d’amour est une invention des troubadours provençaux du XIIème siècle. C’est une construction culturelle qu’on pourrait et on devrait déroger. La littérature de tous les temps nous prévient que nous ne pouvons attendre rien de bon de l’amour. Les histoires d’amours paradigmatiques, Roméo et Juliette, Tristan et Iseut, finissent par la mort. Les héroïnes passionnées des romans du XIXème siècle, Emma Bovary, Anna Karenine, se suicident. Un de nos troubadours, Désiderio Arenas, nous prévient:

Les histoires d’amour
Sont des plus tristes
Les histoires d’amour
Souvent finissent mal

Mais les naïves, à l’égal que Carmen, continuent à croire en fariboles, ceci jusqu’à ce que quelqu’un vienne les détromper et, dans ce cas, c’est justement Sandro, que je vois ici comme un personnage luciférien qui exerce le mal, non pas de manière gratuite, mais dans le but de dévoiler aux ingénus la monstruosité du monde réel.

Cette monstruosité se révèle avec le mouvement que je trouve le plus intéressant de ce livre : la transposition de la tromperie et de l’abus depuis le plan intime et privé de l’amour vers le contexte publique et politique. Les mêmes stratagèmes qu’avait utilisés le séducteur pour humilier Carmen sont employés par un couple de tortionnaires avec des prisonniers ou plutôt prisonnières politiques. L’agression du séducteur devient celle du tortionnaire. La manifestation la plus brutale de l’ordre patriarcal au Chili, qui fut celle du gouvernement de Pinochet, est dirigée envers le corps de la patrie, ou plutôt de la matrie.

Maintenant je vais parler de mes désaccords.

Ceux-ci se sont produits lorsque j’ai commencé à lire l’histoire de Carmen, qui surgit au début comme une femme frappée par le père, privée de contraceptifs par un médecin homme et violée sans violence par un séducteur anonyme. Le livre reproduit un discours féministe très conventionnel : la femme, essentiellement bonne, apparait dans ces premières pages comme une victime innocente de l’homme, mauvais.

Il me semble que ceci simplifie une réalité où tous, femmes et hommes, nous sommes des victimes, mais aussi des complices, d’un ordre patriarcal hiérarchisé, compétitif, lié à la société de consommation, sans pitié, qui use et abuse de la violence répressive. Le problème est que l’accès de la femme à des positions de pouvoir n’a changé en rien cette situation. Il ne suffit pas d’installer des femmes en tant que présidentes de la république pour changer l’ordre patriarcal. En fait, il y a toujours eu des femmes au pouvoir. Lucia Hiriart (n.d.t : l’épouse de Pinochet) eut bien plus de pouvoir que celui que Michelle Bachelet n’en a aujourd’hui, et ceci n’a amélioré en rien quoi que ce soit.

Heureusement ce discours féministe acquiert certaines nuances au fur et mesure que le roman avance quand y surgissent des hommes sensibles et engagés.

En même temps Carmen devient de plus en plus intelligente. Elle pratique l’amour libre et sans compromissions. Paradoxalement, cette Carmen désenchantée écrit des romans romantiques édulcorés. Beaucoup d’hommes passent dans ses draps. Soudain, elle entend à nouveau des mots douceâtres. Aie Aie !!, en tant que lecteur, j’ai vu venir le danger d’une fin heureuse où Carmen croit à nouveau à l’amour romantique. Par chance l’auteur a aperçu le même danger elle aussi et fait la remarque: « Ça y est. Les personnages m’échappent et je ne peux plus les contrôler. Carmen croit toujours aux histoires d’amour, elle en rêve même, et la tentation est grande de l’aider à assouvir ses besoins. Mais à quoi bon ? Ce livre n’est pas de la même eau (de rose) que ceux de Carmen, et je n’accepterai pas que ça se termine par des amoureux transis vivant dans un univers gazeux comme une limonade. »

Non, hommes et femmes, nous ne sommes pas faits pour être heureux ensemble. Mais l’expectative de l’être nous poursuit de manière implacable. Comment faire pour nous séparer définitivement ? Parce l’union n’est pas nécessaire, même plus pour procréer. Nous pourrions envoyer nos spermatozoïdes et vous vos ovules à un laboratoire et là, qu’ils se débrouillent entre eux, pendant que nous gardons une distance prudente. Nous nous épargnerions bien de mauvais moments.

L’un des premiers théologiens catholiques, Origène, opta pour une solution drastique; l’émasculation, c'est-à-dire qu’il se coupa le zizi, comme qui coupe un lien qui l’attache à la femme. Je me demande si la solution fut efficace, car nous avons un pénis intérieur, bien plus difficile à couper.

La relation amoureuse est chargée de suspicions, manipulations et tromperies. Peut-être ceci vient du fait qu’il y a un ordre patriarcal monolithique, qui craint la femme, femme qu’à une époque passée effrayait à son tour l’homme, du temps où régnait un ordre matriarcal. De là, l’invention des monstres mythologiques féminins : les méduses, empuses et gorgones. Récemment, nous venons d’en construire une. Cette dame qui a commandé le meurtre de son beau frère et qui est devenue l’incarnation du mal sur la terre. Mais si on la compare avec Krassnov ou le gros Romo (n.d.t : deux noms connus de tortionnaires chiliens lors de la dictature), elle est un ange. Elle est présentée comme une nouvelle version de la Quintrala (n.d.t. : un personnage féminin, très pervers, qui vécut au Chili du XVIIème); qui est aussi innocent qu’un nouveau né à côté des soldats espagnols de l’époque où ils perpétraient des crimes innommables sur la population indienne.

L’auteur de ce roman construit le personnage masculin du séducteur de telle sorte qu’en pénétrant des zones plus profondes du mal il se transforme en tortionnaire.

Tout ce qui survient au long du roman conduit à un dénouement très bien construit. Grâce à une piste très subtile, Carmen réussit à démasquer deux séducteurs-tortionnaires. Mais de la même façon que l’auteur n’est pas tombée dans le piège d’une fin romantique et heureuse, elle ne succombe non plus à la facile célébration de cette découverte comme si elle était le triomphe du bien contre le mal. Celui-ci continue à exister, car tel qu’elle écrit : « derrière le mal, il y a encore le mal. Un autre mal, absolu celui-là…. derrière les bourreaux, les violeurs, il y a d'autres hommes. Des hommes qui gardent les mains propres et le sourire, un grand sourire, un étrange sourire. »

Je me dois de rajouter que l’une des ruses du mal est celle de savoir se vêtir des apparences du bien. Ces hommes aux sourires étranges se présentent comme étant au service du bien et sont même capables de le croire eux-mêmes. Pour cela, le monde est une scène où la lutte n’est pas celle du bien contre le mal, mais celle du bien contre le bien… quoique le plus souvent ce soit le mal qui l’emporte. Pareil que dans ce roman, où la petite victoire de Carmen n’est qu’une revendication de dignité féminine et humaine. Mais le mal reste.

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